thème : la courtisane
Noblesse oblige
Ce soir, Madame la Duchesse
Offre une somptueuse réception ;
Seule est présente la noblesse
Roture et faquins restent l’exception.
Est invitée la marquise de Chaudefesse,
Une marquise aux yeux moqueurs
Qui épient la chaste jeune vicomtesse
En secret, Demoiselle de Déshonneur.
Les longues robes cirent les parquets
Rongés depuis plus de deux cents ans.
Qu’importent tous ces décolletés osés,
Les charmes sont morts avec le temps.
Pour décor, des meubles de tous les rois
Dont ces altesses ont oublié le numéro,
Au milieu de cet immense fatras,
Ne règne que l’apparence du beau.
Noblesse oblige
A qui le temps fait la pige.
La lueur de ces nombreuses bougies
Dont ils ignorent même le nombre
N’éclaire toujours pas leur esprit
Depuis si longtemps allongé à l’ombre.
Le dernier héritier, le prochain mariage,
Ils effeuilleront les pages du Gotha,
Les traditions ne possèdent pas d’âge.
Aux murs s’étiolent des blasons blafards,
Orphelins de couleurs et de splendeur,
Ils se fanent sans gueules et sans fard
Aussi maculés que leur « honneur ».
Affublées de bribes d’armoiries,
Ces dames serrent leurs particules
Mais restent malgré tout en vie
Face aux sourires du ridicule.
Noblesse oblige,
Elles espèrent des prodiges.
Messeigneurs, en vaines discussions,
Tentent de retrouver un manège,
Ils planifient une nouvelle révolution
En chasse de nouveaux privilèges :
« Ah ça marchera, on gagnera, »
« Toute la roture à la lanterne, »
« Ca marchera tant qu’on sera là »
« La fleur de lys n’est plus en berne ».
« Voici le temps qu’on en finisse »
« Ils comprendront qui on honore ; »
« Et très bientôt le blanc de lys »
« Tuera le triste assassin tricolore ».
Ce soir ils dansent sur un menuet
Pour oublier que fut la carmagnole
Mais leurs pas s’estompent désormais,
Leurs rythmes tels leurs droits s’envolent.
Noblesse oblige
Qui plus rien ne dirige.
Et j’écoute d’une oreille amusée
Délirer Madame de Je ne Sais Quoi,
Assise dans son taudis lézardé
Où seul un feu daigne rester roi.
Noblesse oblige,
Sur ses malheurs elle s’afflige.
Yann Brugenn